À Béziers, le RN attaque la citadelle des Ménard (2024)

Régis et Béatrice, un couple de sexagénaires biterrois, n'a pas encore fait son choix. Pour qui vont-ils voter le 30juin dans la 6e circonscription de l'Hérault, celle de Béziers? Pour la députée sortante non inscrite, Emmanuelle Ménard, épouse du maire de Béziers, Robert Ménard? Ou pour le candidat officiel du Rassemblement national, Julien Gabarron, un quadragénaire tiré à quatre épingles qui vient de leur tendre son tract sur le marché de Béziers?

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«Mais vous, avec Ménard, l'alliance n'est pas envisageable?» demande Régis au candidat RN. «Non, Ménard nous a trahis», assène Gabarron. «Voter Ménard, c'est voter Macron.» Le couple s'interroge: «Aux européennes, on a voté Bardella. C'est un mec qui dit tout ce qu'on pense, surtout sur l'insécurité et l'immigration. Mais Ménard, ici, il a fait du bon travail…»
À LIRE AUSSI Robert Ménard et la tentation de l'Élysée «Je comprends tout à fait l'affection que vous pouvez avoir pour M. ou Mme Ménard», admet le candidat RN. Il le jure: lui aussi «adore Béziers. Mais là, on est sur la France. Ce n'est pas une élection municipale. On ne vote pas pour le prochain maire. On vote pour le prochain Premier ministre. Si vous votez pour Emmanuelle Ménard, vous ne votez pas pour Jordan Bardella». D'ailleurs, tacle-t-il, on ne peut pas compter sur une députée «qui n'a jamais voté les motions de censure du RN».

Le divorce est consommé entre Le Pen et les Ménard

À Béziers, le divorce est consommé entre Marine Le Pen et les Ménard. Jusqu'ici, la vie politique locale était relativement simple: Robert et Emmanuelle Ménard, un couple fusionnel, la dominent sans partage depuis 2014. Lui à la mairie, et depuis2020à la communauté d'agglomération. Elle, depuis 2017, à la députation.

Auteurs en2011d'un livre Vive Le Pen, les Ménard, partisans d'une «union des droites» qu'ils ont mis en pratique localement en siphonnant la droite et l'extrême droite, ont entretenu dès le départ un compagnonnage actif avec la fille de Jean-Marie Le Pen. Ils ont jusqu'ici bénéficié de son soutien ou de sa bienveillance. Aucun candidat RN ne s'est présenté en2022face à Emmanuelle Ménard, facilement réélue avec 69,8% des voix au second tour. Mais s'il a appelé à voter pour Marine Le Pen à la présidentielle de 2022, Robert Ménard a ensuite lancé plusieurs appels du pied à Emmanuel Macron.

«Sur l'Ukraine ou sur la Covid, la position d'Emmanuel Macron était meilleure que celle du RN», affirme aujourd'hui le maire de Béziers, qui revendique sa «liberté»: «Moi, j'ai voté Bellamy aux européennes. Mais sur l'Ukraine, à mes yeux, c'est Glucksmann qui a tenu les meilleurs propos. Est-ce que ça fait de moi un macroniste ou un socialiste? Bien sûr que non!»

«Marine Le Pen se comporte comme Jean-Luc Mélenchon»

À ses yeux, en présentant un candidat face à son épouse, Marine Le Pen «se comporte exactement comme Jean-Luc Mélenchon, qui a puni des gens qui le critiquent en ne les investissant pas. Elle n'aime que les gens qui lui obéissent. Elle n'a pas d'alliés, elle n'a que des vassaux. Mais je ne suis pas un vassal, il faudra qu'elle s'y fasse».

Pour autant, l'élu continue à la préférer à la gauche: «Du point de vue économique, elle dit n'importe quoi. Mais qui peut penser qu'elle peut menacer la démocratie? Si j'avais à choisir entre le RN et le Nouveau Front populaire, je n'hésiterais pas une seconde à voter pour le RN!»

À Béziers, le RN attaquela citadelle des Ménard (1)

Bien sûr, pas pour le candidat convoitant le siège de son épouse, qu'il étrille: «Ce garçon, il y a dix ans que je suis maire, je ne l'ai jamais vu.» La candidate, quant à elle, quadrille le territoire et écume les marchés de la circonscription pour convaincre les électeurs de voter pour elle plutôt que de surfer sur la vague Bardella: «Pour qu'il n'y ait pas de candidat face à moi, il faudrait que je m'engage à voter des textes que je ne connais pas. Mais ce n'est pas l'état d'esprit biterrois. Personne ne nous dit ce qu'on doit faire. Moi, mon parti, c'est le Biterrois!»

À LIRE AUSSI Législatives: Bardella sacrifie la rupture sur l'autel de la crédibilitéSon adversaire lui reproche de ne pas avoir voté les motions de censure déposées par le RN? «Ça me fait rire», rétorque Emmanuelle Ménard. «Ils ont commencé à critiquer mes positions à l'Assemblée nationale parce que je n'avais pas voulu voter leur motion de censure au moment de la réforme des retraites.» À ses yeux, la réforme du gouvernement n'était pas la bonne, mais «celle du RN était irresponsable. Et ils osent ressortir ce discours-là alors que je vois que M. Bardella fait machine arrière toute sur son projet de retraite…»

Un solide ancrage biterrois pour le candidat du RN

Moins connu qu'Emmanuelle Ménard, Julien Gabarrona cependant un autre atout que la marque «Bardella»: son ancrage biterrois. Cet ancien militant de l'UMP, passé au RN en 2021, a longtemps tenu une brasserie près des arènes, avant de se reconvertir comme cadre commercial dans le privé. «J'ai joué au rugby, mes quatre enfants sont nés ici, j'ai créé mon entreprise, j'ai créé des emplois. J'ai fait plus pour Béziers que le couple Ménard!»proclame le candidat aux électeurs indécis.

Après les législatives, les municipales? Nouveau délégué départemental du RN dans l'Hérault, où le parti d'extrême droite détient deux sièges, et en vise d'autres, le quadragénaire préfère se concentrer pour l'instant sur l'enjeu national.

Par honnêteté vis-à-vis des Biterrois, je ne peux pas me présenter aux législatives et leur dire, si je suis réélue: «Tchao, je m’en vais»Emmanuelle Ménard

Mais sa candidature à Béziers a déjà eu une conséquence sur l'élection municipale de 2026: alors qu'il avait prévu de céder la place à son épouse, Robert Ménard, 71ans, a annoncé qu'il briguerait finalement un troisième mandat. «Oui, c'était ce que j'avais envie de faire, regrette Emmanuelle Ménard. Mais par honnêteté vis-à-vis des Biterrois, je ne peux pas me présenter aux législatives et leur dire, si je suis réélue: “Tchao, je m'en vais.”» Le Nouveau Front populaireet Horizons seront en lice. «Mais les deux meilleurs candidats sont à l'extrême droite», estime Pierre-Emmanuel Azam, rédacteur en chef d'un hebdomadaire satirique local, La Pieuvre du Midi. Un élu communiste pronostique lui aussi, sans illusion, «un second tour entre Emmanuelle Ménard et le RN».

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